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« Nous irons à l’Ouest »
par Madeleine Doré
La neuvième édition du festival international Poésie Marseille 2012 s’est dotée d’un axe méditerranéen. La connivence entre les invités catalans, portugais, italiens, marseillais ou venus de la réunion, de Lille, du Finistère fait de cette rencontre constructive, la plate-forme d’un pouvoir poïétique, c’est à dire rattaché à un savoir faire.
L’événement démarre à la galerie Jean-François Meyer avec quatre actions poétiques introduisant de l’une à l’autre des accents performatifs étonnants.
L’univers est né d’un son. Les deux oeuvres d’Alfredo Costa Monteiro courante et anima sont récitées dans le noir. L’atmosphère feutrée isole, elle est propice à l’écoute. L’artiste murmure, Alma mal, in mia alma, non ama lo mal, avec son souffle. Le récit semble chuchoté à l’oreille, il opère à la manière d’une comptine avec un effet immédiat d’envoûtement.
Ce long poème construit avec des strophes homonymiques nous fait voguer sur des sonorités françaises, portugaises et espagnoles, les mots sont choisis pour leur résonance au profit du sens existant. on se laisse prendre par ces bribes textuelles et sensuelles: la terre de l’air, éther, tend le temps qu’erre en l’air, parce qu’elles ont la forme de l’oralité, la rondeur spiralée de l’onde spécifique à l’élégie du commencement.
A mesure de la lecture, les feuillets rassemblés bout à bout se déroulent simulant une colonne d’air, l’artiste installe la présence du texte, le rythme des pulsations du coeur, la force méditative du travail. La répétition du souffle insuffle le sens du vivant comme si le texte courait dans tous les sens en un courant d’air errant qui en courant… L’air prend les sonorités en écho, trace l’horizon de trois strophes posées l’une sur l’autre, inscrit une pensée réactivée à chaque respiration.
Le travail de Costa Monteiro est rigoureux, extrêmement précis, simple et déroutant. Le sens des mots s’échappe au profit d’une musicalité langagière qui éveille une proximité en soi et confère un caractère phénoménologique propre à ses oeuvres. Les récits sonores se déroulent en un axe descendant vers la terre comme s’ils se jetaient à nos pieds humblement en prière.
Il chante le dépli, celui de l’embryon, celui allitéré d’homophonies d’un basculement trilingue conceptuel primordial, mors aux dents la mort aidant. Bienheureux Alfredo Costa Monteiro, né à Porto en 1964, diplômé des Beaux-Arts de Paris en sculpture / multimédia sous l’égide de Christian Boltanski, installé à Barcelone depuis 1992 comme poète performeur et vidéaste, qui en dépliants en accordéon, dits leporellos, recto verso imprimés d’accords fondamentaux, de vers en escalier, espalier, criant son « horreur / du vide // em horror / duvido // horror / de vida », éploie ses trois idiomes en un déni du sens, en un retour au sens – aux confins contemporains de notre Babel.
Les hiatus plus tranchants, hoquetants, plus cahotiques que chaotiques, plus décisifs en langues plus latines (« ecoa /o ego oco […] // assailli / l’ego / sec / que le vide / noue / et évide »). À la lecture orale le français pris en tenaille entre deux scansions marque le temps de retrait prosé, pesé, pensé, plus délibéré (de quel amour blessée / vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée) d’une langue cardinale de poésie.
Christophe Stolowicki
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